Santé
Le 11 février dernier, c’était la Journée mondiale du malade (fête de Notre-Dame de Lourdes). A cette occasion, sœur Françoise nous raconte les difficultés et enjeux des aumôneries hospitalières du diocèse de Créteil.
Notre mission d’accompagnement en période de crise : contexte et limites
Je suis depuis 3 ans responsable des aumôneries d’hôpitaux sur le diocèse de Créteil où est implantée notre jeune communauté.
Pour situer la mission, je peux dire que le diocèse compte seize aumôneries (six hôpitaux de l’AP-HP de Paris, trois hôpitaux intercommunaux, trois hôpitaux psychiatriques et pour l’instant quatre aumôneries en hôpital privé). C’est une grosse part de la réalité diocésaine. Nous avons donc 16 responsables et équipes plus ou moins grandes qui ont été frappés au cœur de leur mission à partir du premier confinement en mars 2020.
Salariés des hôpitaux, les responsables ont obligation de se plier aux contraintes sanitaires émanant des directeurs …Et les décisions sont très différentes d’un groupe hospitalier à un autre. Les gros hôpitaux de l’APHP ont été submergés par les patients Covid et ont été obligés de remanier leurs services en ouvrant des services de réanimation et en créant des « Unités-Covid » bien isolées. On en a beaucoup parlé, les restrictions de visites extérieures y compris des familles ont été drastiques. De ce fait, aumôneries et chapelle étaient fermées. Dans ce cas-là, les familles qui n’avaient plus accès aux patients, ne pouvaient nous appeler … Ce fut, pendant le premier confinement un moment très difficile. Seuls les responsables avaient la possibilité, appelés par les médecins, munis d’une attestation, et bien équipés, de venir rencontrer un patient ou donner le sacrement du malade pour les prêtres. Les chambres funéraires étant débordées et inaccessibles, les bénédictions pour les levées de corps étaient préparées en lien avec les familles par téléphone. Néanmoins, de belles choses ont pu se vivre y compris parfois par zoom qui permet de « réunir » des familles dispersées. Les bénévoles reclus chez eux étaient en attente ou parfois démobilisés par leur âge ou leur propre santé.
Les hôpitaux psychiatriques ont été aussi fermés et les patients ne pouvaient plus être « en ambulatoire ». Les aumôneries qui connaissant bien ces personnes, très fragiles, atteintes de pathologies chroniques ont gardé un contact régulier téléphonique qui fut finalement bien géré. Les malades bien accompagnés n’ont pas été trop perturbés par la situation et ont toujours gardé un lien avec les aumôniers sans trop de débordements liés à l’anxiété non plus.
Les aumôniers des hôpitaux intercommunaux ont été les plus « préservés » : ils ont toujours eu accès à l’hôpital, à leur local et n’ont donc jamais arrêté leur travail. Encore aujourd’hui, les visites sont à la demande mais les liens avec le personnel sur place ont toujours été maintenus. De belles rencontres ont pu se vivre : une responsable me disait qu’elle avait eu accès à une femme malade de la Covid-19 qui avait très peur de mourir. « Habillée comme un cosmonaute » me disait-elle, elle pouvait aller à son chevet pour prier avec elle et ainsi l’aider à s’apaiser. Ceci, bien sûr avec le plein accord des médecins. Pendant tout le temps du premier confinement, elle accueillait à son bureau, le personnel de l’hôpital pour « bavarder », partage des craintes, répondre à une question. Sa présence gratuite et écoutant avait tout son sens.
Dans ce contexte beaucoup de petits contacts ont eu lieu et au cœur de cette détresse générale, de petites lumières ont surgi. Par exemple, une personne du Val de Marne est décédée sur le diocèse de Nanterre accompagnée par un interne-séminariste qui fut présent auprès de lui dans ses derniers instants …La famille nous a contactée pour pouvoir le joindre et le remercier …Nous avons pu les mettre en lien et ce fut très apaisant pour cette famille durement endeuillée.
Solitudes… Des témoignages.
Tout le monde cherche à rompre l’isolement des personnes fragiles et malades et ce n’est pas facile.
La responsable en hôpital en psychiatrie à Ivry témoigne : « Début novembre, la première vague commençait à s’atténuer quand le deuxième confinement est arrivé. De nouveau, l’hôpital semble désert car les allées du parc sont vides, la cafétéria est fermée ainsi que le lieu de culte, les malades n’ont pas la possibilité de sortir seuls des services. L’aumônier est habilité à rencontrer les patients sur demande. Dans les unités de soins, la tension est palpable, la vie est plus difficile, avec l’impression d’être coupée du monde : les visites sont exceptionnelles. Chacun cherche un sens, à sa maladie, à la situation sanitaire. A la fin de ma visite, la semaine dernière, Julienne me dit : « puisque vous êtes venue, c’est que Dieu ne nous a pas totalement oubliés. »
Autre témoignage : « Ce matin à l’hôpital psychiatrique, Josiane vient me voir au lieu de culte me déclare » Ma sœur, je veux communier, il y a trop longtemps que Jésus est tout seul, vous vous rendez compte depuis mars, depuis le confinement, il a perdu son téléphone portable. (Silence). Vous pouvez me donner la communion ? « Nous prions ensemble, puis Josiane communie et se recueille, puis me dit : « Jésus est très content de ma visite, cela lui a fait beaucoup de bien, maintenant il se sent moins seul, c’est tellement douloureux la grande solitude de la croix. Une visite, c’est important ! ».
Et enfin, la même aumônière me disait qu’une malade profondément dépressive lui parlait avec agitation et voulait lui montrer quelque chose dans le parc… Elle a essayé patiemment de décrypter la demande et l’a suivie… Elle lui a montré une petite pâquerette, ultime petite fleur avant l’hiver… Lui a-t-elle dit… Personne ne faisait attention à cette petite pâquerette dans le parc… Les gens fragiles voient des choses et s’émerveillent et nous passons si facilement à côté !
S’adapter, innover, se réinventer.
La situation sanitaire oblige à la créativité, aux petits gestes solidaires : les enfants qui écrivent aux personnes âgées, les tablettes données aux malades pour qu’ils puissent voir leur famille …et nous invite à tisser des liens autres que physiques. Les rencontrent par zoom sont d’un grand secours. Même si elles ne touchent pas tout le monde, elles permettent de voir les visages. C’est par téléphone que j’ai pu garder contact avec chaque responsable pendant le premier confinement et c’est avec Zoom que nous avons pu maintenir chaque semaine nos réunions d’équipe diocésaine. La situation perdurant nous allons faire nos rencontres de formation diocésaine par zoom en attendant de pouvoir nous revoir, on l’espère au printemps pour un temps de récollection !
Nous sommes aujourd’hui dans une situation hybride : les aumôniers peuvent visiter à la demande uniquement. Les messes sont autorisées sans ou avec un nombre limité de patients Elles permettent aux équipes de se retrouver et de prier ensemble et de partager la Parole.
Il n’en reste pas moins que nous vivons un traumatisme dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur ni les répercussions sur chacun et chacune d’entre nous. Notre charisme d’écoute et de relecture à la lumière de la Parole permet de mettre des mots sur cette traversée et de durer dans l’épreuve. La qualité des liens personnels et en équipe créés depuis un an permettra, je pense, de voir germer du neuf dans la manière d’être en aumônerie d’hôpital en lien avec les soignants. Beaucoup ont regretté l’absence des aumôniers (y compris pour les soutenir, eux) pendant le premier confinement et sont attentifs à la prise en compte de la dimension humaine et spirituelle du malade. Je pense d’ailleurs que dans la plupart des hôpitaux, notre présence est maintenant reconnue comme indispensable).
Pour terminer, je voudrais dire combien à mon niveau de responsable diocésaine j’ai été touchée par, à la fois le professionnalisme des responsables qui gardaient un lien constant et parfois rude (pour éviter l’exclusion) avec les autorités sanitaires des hôpitaux et leur souci de pouvoir être présent à chaque patient et chaque famille. Chacun, chacune à sa manière est avec son équipe, présence du Christ compatissant et aimant dans ces lieux de souffrance et fragilité.
Témoignage de sœur Françoise, communauté du KB
Sources photos :
La Croix, Maik Meid, Diocèse de Créteil