Ghana & Entrepreneuriat social

Au Ghana, l’académie Soronko veut former les informaticiennes de demain

Entrepreneuse sociale, informaticienne et directrice d’école, Regina Honu a une ambition : faire une place aux femmes ghanéennes dans le monde très fermé de la tech.

« Quand j’étais employée chez une grande banque internationale, il y avait une scène qui se répétait systématiquement. S’il fallait préparer du café ou prendre des notes à une réunion, tous les regards se tournaient vers moi. Pourtant, je vous assure, je suis bien informaticienne ! » A 38 ans, Regina Honu dit avoir « tout vu » dans un milieu de la tech encore dominé par les hommes, au Ghana comme partout ailleurs. « J’ai affronté la discrimination, le sexisme, les stéréotypes, énumère-t-elle. Bref, la totale. »

Lorsqu’elle se lance dans l’informatique en 2002, la jeune femme est encore une pionnière. « On était trois filles dans ma promotion à l’université Ashesi, raconte-t-elle. Au début, c’était très dur, j’ai failli tout laisser tomber. J’ai travaillé très dur, j’écrivais du code jour et nuit. Ça a fini par devenir comme une seconde langue pour moi. Et en deuxième année d’université, j’ai décroché mon premier job. »

Suivent deux contrats de développeuse dans des banques internationales, où Regina Honu se lasse vite des brimades sexistes de ses collègues, des rumeurs infamantes qui la poursuivent et de la...

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Entrepreneuse sociale, informaticienne et directrice d’école, Regina Honu a une ambition : faire une place aux femmes ghanéennes dans le monde très fermé de la tech.

« Quand j’étais employée chez une grande banque internationale, il y avait une scène qui se répétait systématiquement. S’il fallait préparer du café ou prendre des notes à une réunion, tous les regards se tournaient vers moi. Pourtant, je vous assure, je suis bien informaticienne ! » A 38 ans, Regina Honu dit avoir « tout vu » dans un milieu de la tech encore dominé par les hommes, au Ghana comme partout ailleurs. « J’ai affronté la discrimination, le sexisme, les stéréotypes, énumère-t-elle. Bref, la totale. »

Lorsqu’elle se lance dans l’informatique en 2002, la jeune femme est encore une pionnière. « On était trois filles dans ma promotion à l’université Ashesi, raconte-t-elle. Au début, c’était très dur, j’ai failli tout laisser tomber. J’ai travaillé très dur, j’écrivais du code jour et nuit. Ça a fini par devenir comme une seconde langue pour moi. Et en deuxième année d’université, j’ai décroché mon premier job. »

Suivent deux contrats de développeuse dans des banques internationales, où Regina Honu se lasse vite des brimades sexistes de ses collègues, des rumeurs infamantes qui la poursuivent et de la discrimination de sa hiérarchie, qui la paie moins qu’un homme. Elle part alors tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique, chez Microsoft.

« Quand je suis arrivée à Seattle pour l’entretien d’embauche, on m’a fait attendre dans une salle réservée aux candidats, se souvient-elle. Et dans cette salle, il y avait une table avec un écran tactile intégré. J’étais émerveillée ! On pouvait choisir l’animation aquarium et on voyait des poissons nager sur la table. A ce moment-là, je me suis dit : Comment se fait-il qu’on ne puisse pas créer ce genre d’innovations au Ghana ?” »

Un Business Center au sein de l’académie

Dans un pays où 9,2 % de la jeunesse est au chômage, la tentation de la « fuite » est forte pour les cerveaux : on estime ainsi que la moitié des professionnels de santé formés au Ghana exercent dans un pays de l’OCDE. « Je savais que, si je m’installais aux Etats-Unis, je ne reviendrais pas au Ghana, reconnaît Regina Honu. Mais je voulais aider, à ma mesure, à résoudre concrètement les problèmes de mon pays. »

Sa décision prise, elle se lance dans l’entrepreneuriat social et fonde en 2017 l’académie Soronko (« unique » en langue twi), dans l’élégant quartier résidentiel d’East Legon, à Accra. Son ambition est d’enseigner l’informatique aux groupes marginalisés : sur ses bancs défilent des femmes ghanéennes de 18 à 35 ans, des réfugiées, des enfants handicapés, autistes ou sourds et muets. Mais aussi des enfants de parents aisés, filles et garçons confondus. Ces derniers sont les seuls à payer pour étudier à l’académie Soronko et leurs frais de scolarité financent en partie la formation des autres, qui en bénéficient gratuitement.

Une autre part des revenus de l’école provient de partenariats avec des organismes comme la GIZ, l’Agence de coopération internationale allemande pour le développement, qui sponsorise le programme d’éducation des réfugiés. Le reste est issu du Business Center intégré à l’académie, où travaillent pendant trois mois les diplômées à leur sortie d’école.

« Elles développent des sites et des applications à distance pour des entreprises et apprennent ainsi à se constituer un réseau et négocier un tarif. C’est une transition entre l’école et le marché du travail, résume Regina Honu. Elles reçoivent un salaire, mais nous prenons aussi une part pour payer la formation des promotions suivantes. » La méthode a fait ses preuves : la moitié des diplômées lancent leur commerce en sortant d’école et 30 à 40 % d’entre elles trouvent un emploi salarié.

Faire « voler en éclats » le plafond de verre

Les tresses rose fuchsia et les manières chaleureuses de Regina Honu ne cadrent pas vraiment avec l’image austère d’une directrice d’école, mais les étudiantes ne s’y trompent pas. « Je veux être comme elle, s’exclame sur son passage Charity Dzifa. Dans quelques années, quand on parlera d’informatique au Ghana, les gens penseront immédiatement à mon nom. »

La jeune femme de 22 ans a entamé la semaine dernière une formation de six semaines à l’académie Soronko pour apprendre les bases du développement Web. « J’ai envie de tout comprendre, de savoir comment ça marche, s’enflamme-t-elle. La tech, c’est ma passion. Cette formation était faite pour moi. »

Sa copine l’interrompt : sa passion à elle, c’est le business. A 24 ans, Nicholwen Addy a lancé son petit commerce de produits du nord du pays – « des tissus, des vêtements et du beurre de karité » – et aimerait lui faire prendre son envol. « Je veux apprendre le marketing digital, le développement informatique et le Web design, martèle-t-elle. Je sais qu’il existe un plafond de verre, mais je vais le faire voler en éclats. Maintenant que des pionnières ont ouvert la voie, les femmes vont commencer à prendre de plus en plus de place dans la tech et je veux en être. Et vous allez voir, je vais devenir l’une des femmes d’affaires les plus influentes du Ghana. »

Peu à peu, le Ghana comble son écart de genre dans le numérique. 29,4 % des femmes ont désormais accès à Internet contre 31,2 % des hommes. C’est peu mais bien plus qu’en 2016 : 20 % seulement des Ghanéennes étaient alors présentes en ligne. Or la pandémie de Covid-19 pourrait avoir mis un coup d’arrêt à cet élan souligne Regina Honu. Le Ghana a immédiatement mis en place des mesures sanitaires strictes et les écoles sont restées fermées près de dix mois.

« Passer à l’enseignement à distance n’a pas été simple. Pour nos étudiantes, le premier obstacle est l’accès à un ordinateur, le second est le prix des données Internet. Tout le monde n’a pas les moyens de regarder des cours en streaming. Le troisième obstacle concernait nos étudiantes qui sont mères. Elles ont dû s’occuper deux fois plus de leur foyer, gérer leurs enfants qui n’allaient plus à l’école… La pression qui pesait sur leurs épaules s’est alourdie », précise l’entrepreneuse.

A la réouverture des écoles en janvier, les cours ont repris immédiatement à l’académie Soronko. Avec une surprise : le nombre de demandes d’inscriptions avait grimpé. « La pandémie nous a fait prendre conscience de l’importance du numérique, résume Nicholyn Addy, qui fait partie des nouvelles recrues. Si vous voulez vous renseigner, apprendre, acheter ou vendre, tout se passe en ligne. Alors on est bien obligées d’apprendre comment ça fonctionne ! C’est le bon côté, si j’ose dire, de la pandémie : sans le Covid-19, je ne me serais jamais intéressée à la tech et je ne serais pas là aujourd’hui. »


Source : Le Monde / Par Marine Jeannin
Photos : VINCENT PAILHE, Le Monde

Esther Aforklenyuie, 20 ans, se prépare avant un cours d’informatique à la Soronko Academy
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